Que signifie au juste « Bella Maniera » ?

Le terme « Bella Maniera » a été choisi pour notre association par Sarah Catala. Judicieusement trouvé, il apparaît pour la première fois dans les discussions esthétiques italiennes de la Renaissance. Dans une célèbre lettre adressée au pape Léon X en 1519, Raphaël s’en sert pour désigner le style antique, et plus précisément l’architecture romaine. Quelques années plus tard, Giorgio Vasari lui donnera une signification différente.

La « Maniera » – sans « Bella » – est un terme connu depuis longtemps dans la littérature artistique : déjà, Cennino Cennini, dans son fondamental Libro dell’Arte rédigé vers 1390, l’employait pour définir le style propre à un artiste. Chacun doit trouver « sa manière » en copiant à la fois d’après nature et en s’inspirant des maîtres du passé. Cennini conseille aux jeunes artistes de prendre comme modèle un seul artiste du passé, car en en choisissant plusieurs, le risque devient grand de s’égarer et de ne pouvoir parvenir à se forger un style.

Giorgio Vasari a donné à la « Maniera » toutes ses lettres de noblesse. Il l’utilisait de plusieurs façons, pour définir le style de chaque artiste d’une part, mais il l’utilise aussi dans sa caractérisation des différents périodes artistiques : Antiquité, art gothique, arts du Trecento, du Quattrocento et du Cinquecento.

Francesco Salviati, Étude de jeune homme, sanguine, 413 x 293 mm, Londres, British Museum © The Trustees of the British Museum

Vasari affirme le concept de la « Bella Maniera » comme l’aboutissement de toute activité artistique. Pour lui, il n’y a que les artistes du Cinquecento qui ont pu atteindre cet idéal. Dans sa préface de la troisième partie des « Vies » parue en 1568, il conclut par une phrase : « L’embellissement de la nature, voilà l’ambition suprême de la Bella Maniera ».

La fameuse anecdote racontée par Pline au sujet du peintre Zeuxis et des filles de Crotone, et sur laquelle s’appuie la théorie de Vasari, demeure la base indispensable pour la comprendre : pour peindre une figure de Vénus, Zeuxis avait fait défiler dans son atelier plusieurs belles jeunes filles. Après les avoir toutes dessinées, il sélectionnes les plus belles parties de chacune d’elles (la tête, le buste, les mains, les jambes et les pieds) et les rassemble afin de composer le corps idéal de sa déesse.

La « Bella Maniera » se manifeste par des compositions savamment équilibrées et mesurées. Les corps sont retenus pour leur perfection, les éléments architecturaux judicieusement choisis, les paysages harmonieux et les accessoires nobles et bien agencés. Elle se révèle par ailleurs par une grande élégance des gestes, par la grâce des figures et des mouvements, par la « beauté » du trait qui s’exprime notamment par la ligne sinueuse (fig. 1). Elle est en fin du compte une tentative de révéler le divin dans le monde visible.

Vasari défend ici une thèse qui lui est chère. Il a parfaitement conscience de sa fragilité et sait pertinemment que d’autres visions artistiques « plus proche de la réalité » existent déjà à son époque. Il connaît aussi le danger émanant de la « Bella Maniera » qui consiste à trop s’éloigner de la réalité et créer ainsi des œuvres artificielles, qui « sonnent faux ». C’est pour cette raison qu’il rappelle sans cesse aux artistes que la connaissance du dessin d’après nature et sa pratique régulière sont les bases incontournables pour atteindre la « Bella Maniera » et ne pas sombrer dans l’artificialité. Pour cette raison, nous conservons pour la seconde partie du XVIe siècle, de Salviati, Parmesan, Bronzino ou encore Barocci de magnifiques dessins d’après nature, point de départ indispensable à chaque artiste pour atteindre cet idéal de la « Bella Maniera ».

Cette idée de la nature embellie sera radicalement remise en question vers 1600, par une nouvelle génération d’artistes qui tente de remettre le réel dans les grandes compositions mais l’idée de la « Bella Maniera » n’a pas pour autant dit son dernier mot, continue à hanter l’esprit des artistes jusqu’à aujourd’hui et les aident à trouver l’équilibre entre le monde des idées pures et les exigences d’observer la nature.

Andrea del Sarto, Étude d’enfants nus, sanguine, 198 x 247 mm, Londres, British Museum © The Trustees of the British Museum

Le complément de Bella Maniera :

Membre du conseil d’administration de l’association Bella Maniera, David Mandrella est docteur en Histoire de l’Art et auteur du catalogue raisonné de l’œuvre de Jacob van Loo. Il a ​établi de nombreux catalogues de dessins et des peintures hollandaises pour des musées (Condé de Chantilly, Grenoble, Nantes, Weimar…). On attend son catalogue raisonné de l’oeuvre de Nicolaes de Helt Stockade et celui des collections de Bayonne !

Pour prolonger cette lecture, il vous suggère : Antonio Pinelli, La bella Maniera. Artisti del Cinquecento tra regola e licenza, Einaudi, Turin, 1993 (réédité en 2003).

David Mandrella